ATHLETISME- ENTRETIEN AVEC AMY SENE (DOUBLE CHAMPIONNE D'AFRIQUE AU LANCER DU MARTEAU)
"J’ai envie de continuer à briller sur le continent ...."
Dans cet entretien décalé, la double championne d’Afrique du lancer de marteau, Amy Sène, 26 ans, nous ouvre les portes de son intimité et livre ses petits secrets, sa vision du Sénégal, mais aussi ses ambitions.
Recueillis par Gaëlle YOMI et Ndiassé SAMBE
Amy, pourquoi vous avez choisi le lancer du marteau ?
Je pratique l’athlétisme depuis 1998. A la base, je voulais faire du sprint parce que c’est en suivant Marie José Pérec que j’ai eu envie de faire de l’athlétisme. Du coup, j’ai commencé par le sprint et je m’orientais plus vers le saut en longueur et j’ai commencé à avoir des résultats. Mais, un jour, il manquait une lanceuse du marteau pour compléter l’équipe. Du coup, on m’a proposé de combler ce trou. Ensuite, mon entraîneur a vu que j’avais du potentiel pour faire quelque chose et petit à petit les résultats sont arrivés. Après les études, j’ai fait le choix de me consacrer au marteau car ça devenait trop de faire la longueur et le marteau. J’étais en classe de terminale et j’avais 17 ans. Là j’en ai 26.
Comment vos proches ont apprécié votre choix car il est plus aisé de laisser sa fille faire du sprint que le marteau ?
Même pour moi au début, c’était difficile de me résoudre à faire du marteau. Je me disais : «Waouh, c’est quoi ça ?» Parce que tout le monde a un peu l’image caricaturale de la lanceuse du marteau. En plus, à la vue de tout le monde, ce n’est pas la discipline reine. C’est vrai que quand j’ai dit ça à mon père, qui est un fan de sport, il a dit : «hors de question !» Il aurait préféré que je fasse du sprint et surtout de la longueur parce que je commençais à bien me débrouiller.
Pourquoi vous avez choisi de défendre les couleurs du Sénégal en 2010 ?
C’est vrai que j’ai eu à faire quelques sélections en équipe de France chez les jeunes. Arrivée à un certain moment, on se pose la question de savoir quel pays on va défendre. Du coup, je me suis intéressée au meeting de Dakar. Je suis venue le voir et en fait, j’ai adoré l’ambiance, la chaleur humaine, c’était bien. Je me suis dit que j’allais m’aligner pour le Sénégal et que c’était peut-être une opportunité d’atteindre le haut niveau plus facilement. Finalement, ce n’est pas aussi facile que ça, il faut réaliser les minimas comme en France (rires).
C’était votre première visite au Sénégal ?
Non, depuis toute petite, je viens au Sénégal avec mes parents tous les deux ans.
Vous parlez Wolof ?
Non, je ne parle pas Wolof. Mes parents sont Sérères mais je ne parle pas Sérère non plus. Ma mère est de Fimela plus précisément des îles de Niodior, mon père est de Kaolack. Quand on venait en vacances, on restait à Fimela dans la région de Fatick et on allait aussi à Kaolack dans le village de mon père.
Ça change de votre quotidien en France ?
Oui, c’est différent. Mais franchement ça fait du bien d’avoir cette rupture. J’ai grandi en Bretagne. Je suis née à Lorient puis nous sommes allés à Rennes. Là, je suis toujours à Rennes.
Quelles sont les relations que vous gardez avec le Sénégal, la famille ?
Ce sont des relations fortes, très proches. Quand j’arrive au Sénégal, la première chose que je fais, c’est d’aller voir ma famille. Tout ce qui est au niveau culturel, je m’y connais car mes parents me l’ont enseigné.
Y a-t-il des choses qui vous surprennent quand vous êtes au Sénégal ?
En fait, c’est le manque de civisme des gens. A Dakar, les gens ne sont pas vraiment aimables. Ils disent rarement bonjour ou merci dans les magasins. Mais au village, c’est différent, j’adore. La circulation avec les taxis, c’est un vrai choc. On ne respecte pas le code pour laisser passer celui qui a la priorité. Sinon, tout va bien, j’aime être au Sénégal. Je viens régulièrement 4 à 5 fois par an.
Quels sont les choses qui vous marquent positivement ici ?
Ce que j’aime bien, c’est déjà le climat du pays et l’ambiance. Les gens aiment s’amuser.
«Au Sénégal, on ne me prend pas pour une vraie Sénégalaise»
Vous avez une double culture sénégalaise et française. Que pensez-vous avoir pris de meilleur de votre culture sénégalaise ?
Mon défaut, c’est que je suis un peu paresseuse. Je ne sais pas si ça vient du Sénégal ou de la France (rires). Tout ce que je suis vient des deux côtés.
Quand vous marchez dans la rue, vous avez l’impression qu’on vous regarde en tant que Sénégalaise ou étrangère ?
Quand j’arrive au Sénégal en tout cas, on ne me prend pas pour une vraie Sénégalaise. Déjà que je ne parle pas les langues. En France, on me demande mes origines, mais je ne ressens pas de racisme.
Vous avez combien de demandes en mariage quand vous êtes au Sénégal ?
(Eclats de rires). Non, je n’ai pas de demande. Je ne sors pas beaucoup aussi.
Est-ce qu’on vous dit parfois que vous avez le physique de l’idéal féminin sénégalais ?
(Etonnée) Moi ! Non (rires), on ne m’a jamais dit cela. C’est vrai qu’on me complimente parfois sur mon physique parce que les gens ne s’attendent pas à voir une fille athlétique au lancer. Les gens sont le plus souvent étonnés.
Comment vous le prenez ?
Bien ! Je leur demande de venir plus souvent sur les plateaux de marteau et ils verront des filles athlétiques. Elles sont belles les lanceuses. C’est vrai que je fais attention à être bien habillée quand je viens lancer. J’aime marier les couleurs. C’est une image qu’on défend, c’est le côté féminin. Je pense que plus il y aura des filles avec une belle image, plus on aura du public.
Votre plat préféré ?
J’adore le yassa et c’est le repas que je cuisine super bien.
Vous préparez mieux le yassa ou la crêpe bretonne ?
C’est du 50/50.
«Yékini est mon lutteur préféré»
Vous suivez le sport sénégalais notamment le foot et la lutte ?
Je ne suis pas du tout le foot, ça me fatigue. C’est énervant parce qu’on ne parle que d’eux. Au niveau du Sénégal, c’est frustrant. La lutte, je suis un peu de loin quand il y a les grands combats, je suis à fond. Yékini, c’est mon lutteur préféré, il est fort. J’ai même été regardé la lutte sérère à Yoff.
Quels sont vos objectifs actuellement ?
J’ai envie de continuer à briller sur le continent africain et marquer un peu mon histoire au niveau mondial. C'est-à-dire aller loin et ne pas se faire sortir aux portes de la finale.
Qu’est-ce qui vous manque pour le faire ?
Des meilleurs conditions, les moyens, un soutien financier, un suivi pour les athlètes de haut niveau. Je veux faire la comparaison avec la France. Chaque année, il y a un listing qui sort où les athlètes de haut niveau ont droit à une somme pour faire des stages, acheter des équipements. Au Sénégal, on peut créer cette liste d’athlètes de haut niveau pour nous aider à participer à des stages. Par exemple, l’année dernière, je devais faire un stage en Allemagne avec la recordwoman du monde (Betty Heidler), j’avais tout organisé mais les moyens n’ont pas suivi derrière.
Est-ce que vous arrivez à en parler aux autorités ?
Oui mais la réponse est toujours la même. C’est le manque de moyens par moment et il n’y a pas suffisamment d’aide du ministère des Sports. Lors du gala de l’Anps, j’ai essayé de faire passer un message dans ce sens vu que le ministre des Sports (Mbagnick Ndiaye) était présent. J’espère que le message est passé où du moins que j’aurai l’occasion de le rencontrer pour lui dire ce qui ne va pas et ce qui va aussi. J’ai bon espoir qu’à force de parler, on finira par se faire entendre.